Mesures d’urgence pour 2012
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Convention ESR EELV 1/10/11 – Note «Mesures d’urgence pour 2012» – Synthèse des débats de la commission ESR EELV, rédigée par L. Audouin et L. Comparat

En matière d’ESR, la droite n’a jamais annoncé clairement de vision stratégique, si ce n’est celle d’une compétition mondiale lue au prisme déformant du classement de Shangaï. On peut toutefois dégager deux grandes lignes directrices : une main de fer pilotant (et élaguant) sans cesse la recherche sous le gant de velours de l’autonomie et des appels à projet, et les premiers jalons d’une réorganisation des universités françaises sur un modèle américain – « colleges » de licence ressemblant de plus en plus à un lycée et universités de recherche, en nombre très restreint, pour les niveaux M et D. Or, ces deux objectifs, associés à l’obsession de la maîtrise comptable des dépenses, sont à rebours d’un ESR facteur d’émancipation et de progrès. De plus, la droite va laisser derrière elle un lourd héritage en termes de structures nouvelles et de plans de financement bancals (plan campus, LabEx, IdEx, EquipEx) dont il faudra organiser la sortie sans pour autant léser les équipes et organismes qui ont obtenu des promesses de crédits.

Les premiers mois de la nouvelle mandature devront remplir un triple objectif :

  • mettre en oeuvre des mesures de court terme, notamment budgétaires, suffisamment significatives pour indiquer clairement dans quelle perspectives se situera la suite des réformes et remobiliser la communauté académique ;
  • lancer un temps de réflexion associant étroitement les personnels de la recherche et de l’ES, les étudiants, mais aussi des citoyens et des associations, qui devra déboucher, 30 ans après ceux de 1982, sur de nouveaux états généraux de l’ESR : il ne s’agit pas de passer à marche forcée une réforme de grande ampleur, comme cela avait été fait avec la LRU ;
  • accompagner cette rupture méthodologique d’un changement de vocabulaire, pour passer de l’excellence à la qualité, de la compétition à la coopération, etc.

Vers des Etats Généraux de l’ESRI

La première urgence est de réinstaurer un climat de confiance avec la communauté académique et de créer la situation d’un véritable dialogue et d’une concertation réelle. Après des années d’une politique alternant miroirs aux alouettes et passages en force, la lassitude a pu gagner beaucoup de personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur, toutes catégories confondues. Le travail de sape de la droite a attaqué jusqu’aux fondements du système d’ESRI : de véritables états généraux, prenant le temps de faire remonter les propositions dans chaque établissement de recherche ou d’enseignement supérieur, ne seront donc pas de trop pour permettre de remobiliser les personnels. Ce travail de proposition et de concertation ne doit d’ailleurs pas se limiter aux personnels de l’ESR mais être ouvert aux étudiants, au monde économique, et plus largement aux citoyens, qui ne peuvent plus être considérés comme de simples spectateurs de l’élaboration de la science. Il ne s’agit pas seulement de réparer les dégâts mais bien d’inventer un système de recherche capable de répondre aux défis du XXIe siècle : une recherche ouverte sur l’ensemble des champs de la connaissance, dont l’indépendance soit pleinement garantie, sachant être à l’écoute des besoins citoyens sans aucunement s’y réduire, et aux résultats librement accessibles à tous.

Un ministère de plein exercice

Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche doit voir ses prérogatives élargies de manière à être le lieu de décision pour l’ensemble du supérieur, et pas seulement pour le monde académique. La tutelle des classes préparatoires aux grandes écoles – CPGE et celle de l’ensemble des « grandes écoles » lui seront donc confiées (les tutelles d’autres ministères renvoient à une époque où chaque école formait les cadres desdits ministères, un temps plus que révolu), et les procédures d’habilitation des écoles privées seront revues pour assurer une meilleure coordination.

Le ministère doit aussi englober la dimension « innovation ».

Une direction « science et citoyenneté » y sera mise en place. Une de ses premières tâches sera de préparer des conférences de citoyens qui auront à définir des domaines d’intérêt majeur, pour lesquels des financements additionnels seront mis en place dans les années suivantes.

Déserrer le garrot budgétaire

Un audit global de l’ensemble des lignes de la Mission interministérielle recherche enseignement supérieur (MIRES) devra être immédiatement lancé afin d’y voir enfin clair sur l’état réel des comptes publics après des années de voltige budgétaire et d’annonces jamais suivies d’effets.

Il est possible de changer fortement la situation dans les organismes de recherche sans impact budgétaire si dans le même temps, les premières limitations du crédit impôt recherche – CIR sont mises en place (volume consolidé et plafonnement à 50 M€, ainsi que proposé sans succès lors de l’examen du budget 2011). Dans le collectif budgétaire qu’une majorité d’alternance ne manquerait pas de réaliser en juillet 2012 devront ainsi figurer :

  • la création de plusieurs centaines de postes statutaires pour l’automne 2012, autant pour les enseignants, enseignants-chercheurs et chercheurs que les personnels Biatoss, marquant le démarrage d’un plan de résorption de la précarité qui s’étendra sur la mandature, la progressivité étant nécessaire pour assurer la richesse du vivier de recrutement et limiter les effets d’accordéon démographique. Les crédits prévus pour des CDD pourront être réaffectés au financement de cette mesure, en réduisant considérablement la portée budgétaire ;
  • une réévaluation des dotations récurrentes des organismes de recherche compensant les diminutions des budgets 2011 et 2012 ;
  • le retour d’une partie des crédits ANR non engagés vers les établissements et organismes, amorçant ainsi la décrue des montants gérés par cette agence, le reste des fonds (de l’ordre de 500 M€/an) étant désormais mieux fléché dans une perspective d’utilité écologique et sociale ;
  • la transformation des diverses « Primes » non encore attribuées en augmentation du nombre de promotions dans les différents échelons.

Plus de démocratie, mieux d’évaluation

En matière d’évaluation, un moratoire immédiat des évaluations par l’AERES sera décrété pour 6 mois. Ce temps permettra de réaliser une démarche de concertation aboutissant à la mise en place d’une instance se définissant effectivement comme une émanation de la communauté de l’ESR. Les contrats actuels, dépendant d’une éventuelle évaluation (contrats quinquennaux des universités par exemple), seront prolongés d’un an, le temps que les travaux aboutissent.

L’abrogation pure et simple de la loi LRU créerait, sur le plan légal et pratique, autant de difficultés qu’elle en résoudrait : une large partie de cette loi n’en est pas moins inacceptable et une réforme en profondeur est donc indispensable. Les discussions menant aux états généraux devront permettre de préparer cette nouvelle loi avec la contribution de l’ensemble du monde académique, des étudiants et de la société. Dans l’intervalle, les dévolutions de patrimoine seront suspendues, et les universités non encore passées à l’autonomie (s’il y en a) n’y seront pas contraintes.

Afin de remettre le fonctionnement démocratique au coeur des pratiques académiques, l’ensemble des conseils d’administration et conseils scientifiques de toutes les structures d’enseignement ou de recherche rattachées au MESRI ou de structures les intégrant (PRES notamment) devront comporter au minimum un tiers d’élus direct.

Les alliances ont été mises en place au nom des vertus de la coordination inter-établissements, mais elles sont surtout un moyen de limiter le rôle des scientifiques élus et de donner plus de poids à la finalisation des recherches. Les alliances seront donc dissoutes pour être transformées en structures légères de coordination scientifique.

La gestion des « Ex » et des multiples nouvelles structures

Les equipex, labex, idex et les projets de CHS, SATT et autres IRT… recouvrent des réalités très différentes et ne peuvent être traités selon la même philosophie.

Les Equipex sont issus d’un travail du terrain, et devraient à ce titre être financés. En revanche certains grands projets financés au titre des investissements d’avenir seront gelés et leur pertinence remise en débat : ITER, ASTRID (conférence de citoyens?)

Les Labex, quelle que soient la qualité des équipes qui les portent, apparaissent d’abord comme un outil de déstructuration des laboratoires et même des EPST. Les financement qui leur étaient destinés sont en règle générale assez modestes une fois qu’on dépasse le chiffre mirobolant du capital placé et qu’on ramène ces sommes en dotation annuelle. Aussi, les Labex seront supprimés en temps que structures, la dotation correspondante étant distribuée aux organismes avec instruction d’assurer la continuité des travaux éventuellement engagés.

Les Idex et les CHS sont la traduction de la volonté gouvernementale de concentrer les moyens sur un nombre restreint de sites. L’impératif de « gouvernance resserrée » qui leur a été associé ajoute le déni de démocratie à la volonté de concentrer les moyens pour mieux contracter les effectifs. Les moyens dédiés aux Idex et au plan campus feront l’objet d’une remise à plat globale, dans le cadre de la définition d’universités confédérales de dimension régionale. La création des fondations (FCS) prévues, et notamment celles liées à certains projets d’Idex, sera également suspendue.

La réforme du CIR, particulièrement la forte baisse du montant collecté, aura de fait un impact fort sur les fondations existantes, qui risquent de se voir vidées de leur substance. Une réflexion sur la réelle utilité de ces outils dans le nouveau paysage de l’ESR sera de toute façon nécessaire. Leur dissolution éventuelle devra donner lieu à une redistribution équitable (équilibres disciplinaires, territoriaux…) des fonds collectés, et à un reclassement de leurs personnels. En tout état de cause, leur pérennité ne pourra se concevoir que dans le cadre de la refonte globale du financement de l’ESR (limitation du financement sur projets, CIR limité aux TPE/PME…), et afin de permettre une réelle innovation économique et sociale de réponse aux enjeux écologiques et sociétaux. Et enfin, les SATT et IRT sont des outils de mise en concurrence entre établissements (notamment par siphonnage des financements), et de pilotage de la recherche et de l’enseignement par l’industrie, grands groupes en tête. Ces projets doivent donc être abandonnés.

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