Réponse d’Eva Joly à l’Association Française d’Economie Politique
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Eva JolyVoir le site de l’Association Française d’Economie Politique

Paris, le 30 mars 2012

Monsieur le Président,

La crise financière et ses conséquences sur l’économie réelle affectent le quotidien de milliards d’êtres humains, et les ravages de l’idéologie libérale sur les sociétés et sur l’environnement se font toujours plus patents. De toute évidence, l’orthodoxie économique contemporaine, fondée sur le libre-échange, la financiarisation et le monétarisme, n’a pas permis d’anticiper ces crises et a même contribué à leur venue. La nécessité d’explorer d’autres modèles de développement et d’autres représentations de l’économie devrait donc aller de soi.

Or, force est de constater que depuis de longues années, un mouvement régulier de sélection est à l’oeuvre au sein du monde académique dans le champ des sciences économiques. L’obsession de l’évaluation individuelle et quantitative des travaux et publications, tout comme la priorité de l’agrégation externe dans l’accès au passage au grade de professeur, conduisent à privilégier les universitaires et chercheurs qui s’inscrivent dans une approche orthodoxe de l’économie. Le résultat est une marginalisation de fait des autres courants de pensée.

Je considère que la communauté scientifique a vocation à constituer un véritable contre-pouvoir. Cela n’est possible que si les scientifiques sont eux-mêmes indépendants de tous les pouvoirs, politiques ou financiers. Le statut de fonctionnaire et le caractère majoritairement récurrent des financements sont des garanties nécessaires – non nécessairement suffisantes – à cette indépendance. Mais la communauté doit également être suffisamment diverse pour que les débats en son sein irriguent pleinement le débat public.

La diversité, la confrontation des approches, sont nécessaires à toute science. L’économie ne peut se limiter à être une science prescriptive où la réalité doit s’adapter aux hypothèses des modèles : elle doit comme toute science confronter ses résultats aux faits, et savoir remettre en cause les fondements de ses modèles si nécessaire. La pluralité des approches est au coeur de ce processus.

Pour préserver cette pluralité en matière de sciences économiques, plusieurs solutions sont envisageables : suppression des agrégations externes – une évolution d’autant plus nécessaire qu’elle permettrait l’harmonisation des déroulements de carrière entre les différentes sections CNU ; réforme de la désignation des membres du CNU ; ou encore création d’une nouvelle section CNU.

Ces 3 actions ne sont d’ailleurs pas exclusives les unes des autres. Alors que l’avenir des agrégations du supérieur est actuellement l’objet de marchandages indignes avec le ministère de l’enseignement supérieur, il faut au contraire qu’un débat ouvert et transparent ait lieu sur ce sujet. Il devrait en toute logique avoir lieu à l’occasion des Etats Généraux de l’ESR que nous souhaitons convoquer à l’issue de la séquence électorale de ce printemps, pour préparer avec toute la communauté académique et toute la société une loi-cadre refondant les structures de l’enseignement supérieur français.

En espérant avoir répondu à vos interrogations, je vous prie d’agréer mes sincères salutations.

Eva Joly

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