Convention ESR EELV Lyon 1/10/11 – Note « Pilotage, liberté de la recherche et démocratie scientifique » – Synthèse des débats préparatoires de la commission ESR EELV, rédigée par Marc Lipinski
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Longtemps, la quasi totalité des chercheurs s’est opposée à toute irruption du monde extérieur dans les laboratoires. La peur d’être « piloté » par le personnel politique ou de voir ses recherches orientées par les applications d’aval et les besoins du marché est d’autant plus prégnante que cette méfiance est basée sur des réalités éprouvées. Or, pour les chercheurs, les espaces de liberté sont indispensables à l’accomplissement de recherches purement cognitives. Eux seuls sont à même de percevoir dans quelles directions déployer leurs efforts pour obtenir des avancées conceptuelles, atteindre des points de rupture dans les connaissances, explorer les interfaces possiblement productives. Ce sont eux qui sont en position de distinguer ce qui vaut la peine d’être tenté de ce qui n’apparaît que comme perte de temps et d’argent. Vouloir faire fonctionner toute la recherche en « mode projet » est donc inepte. Jamais il ne suffira d’assigner à la recherche fondamentale des objectifs volontaristes même assortis de moyens financiers conséquents pour qu’elle aboutisse à coup sûr. Si l’on veut réellement que progressent les savoirs et que se préparent les révolutions scientifiques de demain, il est totalement contre-productif de marchander aux chercheurs leur liberté. C’est malheureusement le cours que suivent les choses quand la recherche est promue essentiellement pour les retombées économiques qu’on en attend et de ce point de vue, les bouleversements introduits par les gouvernements des années récentes n’ont fait qu’aggraver une tendance de fond de la politique française de recherche déjà clairement à l’oeuvre dans les années Jospin-Allègre. Disons-le clairement : pour les écologistes, l’action publique doit viser à un avancement général des connaissances et la recherche cognitive doit être soutenue en conséquence.
Une fois défendu ce principe incontournable de liberté pour la recherche dans tous les domaines, sciences exactes, sciences de la vie, humanités, il est indéniable qu’une politique écologiste visera également à ce que se développent des travaux estimés cruciaux pour leurs applications prévisibles, attendues ou espérées (par exemple en matière d’énergie pour la réduction des gaspillages, l’amélioration des méthodes de production d’énergie d’origine réellement renouvelable, etc.). Certaines de ces recherches à visée applicative ont vocation à être développées en partenariat avec des acteurs du secteur marchand, à condition que ceux-ci assument leurs responsabilités sans externalisation vers les laboratoires publics de recherche. Mais la recherche partenariale doit aussi se diversifier, au-delà des seules entreprises privées. Il s’agit d’encourager la recherche dans toutes ses déclinaisons afin qu’un équilibre satisfaisant soit trouvé dans son organisation. A l’habituelle représentation opposant secteur académique – la recherche d’amont – et secteur des entreprises – l’aval – l’écologie politique préférera l’image du trépied dont la stabilité dépend d’une troisième composante, le monde associatif et citoyen.
Celui-ci étant à l’évidence largement dépourvu des moyens incitatifs dont disposent l’Etat et le secteur privé, il reviendra à la puissance publique d’inventer des dispositifs permettant d’inclure la société civile intéressée dans l’organisation générale du système français de recherche. Lors des Etats généraux de la recherche de 2004, les débats avaient été particulièrement âpres sur la question des rapports entre sciences et société. Pour les écologistes, l’engagement citoyen est hautement souhaitable, dans la recherche et l’innovation comme dans toutes les activités sociales. Il n’est pas plus étrange, moins légitime ni déraisonnable qu’une partie des budgets pour la recherche soit destinée à répondre à la demande sociale. Le milieu de la recherche semble y être désormais plus ouvert, comme en atteste la réussite du dispositif des Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation (Picri) mis en place dès 2005 par la région Ile-de-France, aujourd’hui rejointe par d’autres régions. Depuis l’émergence du phénomène quand apparut le Sida au début des années 1980, toujours plus nombreux sont les groupes de « profanes éclairés » qui en savent tout autant que les spécialistes ou les experts d’un sujet donné. Contrairement aux craintes initiales des chercheurs, l’irruption brutale d’une fraction de la société civile alors en danger de mort a surtout débouché sur une demande supplémentaire et pressante de recherche fondamentale. Ces rapports nouveaux entre « savants » et « simples citoyens » soulignent les besoins d’évolution d’une recherche publique qui malgré de récents efforts reste encore peu ouverte au monde extérieur.
Il revient donc à l’Etat d’introduire parmi les missions des établissements de recherche, organismes et universités, cet impératif d’ouverture. Les citoyens ont toute capacité à s’impliquer comme on peut le constater chaque fois qu’on leur donne les moyens et le temps de s’approprier des questions complexes, y compris quand elles sont de nature scientifique ou technologique, il suffit pour s’en convaincre d’examiner la façon dont ils participent aux conférences de citoyens ou aux débats publics lorsqu’ils sont organisés de bonne foi et non comme rideaux de fumée pour camoufler des décisions déjà prises. En écho aux labels Carnot attribués aux laboratoires publics particulièrement engagés dans des partenariats avec les entreprises, un nouveau label et des financements ad hoc soutiendraient les laboratoires qui s’engageraient à des coopérations actives avec le monde associatif. À l’université, les étudiants doivent se voir offrir la possibilité de suivre des parcours de formation diversifiés, avec des enseignements dans des disciplines majeures et mineures au cours desquels ils pourraient mettre leurs acquis au service de la demande citoyenne de science. Ils obtiendraient des crédits d’enseignement pour cela. A l’image de ce qui existe dans nombre de pays à travers le monde, des science shops – que la Commission européenne promeut pour que le progrès scientifique soit mieux orienté au service de la société – accueilleraient sur les différents campus universitaires citoyens et associations actives sur le territoire alentour pour tenter de leur offrir des réponses aux problèmes qu’ils leur soumettraient. Des représentants de cette société « civile » locale seraient appelés à siéger dans les Cevu – voire dans les conseils scientifiques – redémocratisés. Les conseils régionaux pourraient inclure dans les conventions qu’ils signent avec les universités ou avec les Pres un objectif de création de telles « boutiques de science ». A l’instar de l’échelon européen appelé à jouer un rôle plus grand dans les politiques de soutien à la recherche, les conseils régionaux devraient en effet se voir conférer des compétences accrues en matière d’enseignement supérieur et de recherche dont le lien avec l’organisation des territoires n’est plus à démontrer. Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (Pres) pourront d’autant mieux constituer des outils pertinents – fournissant par exemple un cadre favorable au rapprochement des premiers cycles universitaires et des classes préparatoires aux grands écoles, à celui des écoles et des seconds et troisièmes cycles des universités – qu’ils redeviendraient des lieux de mutualisation démocratique et non ces couches administratives additionnelles, détachées à dessein du terrain universitaire pour qu’elles se rapprochent du monde économique par le biais de ces fondations de coopération scientifique à la gouvernance de plus en plus distante et opaque.
On le voit, pour les écologistes, opposer liberté académique et demande sociale et sociétale n’est plus pertinent. L’Etat doit conserver sa responsabilité de fixer les grandes orientations du système français de recherche et d’enseignement supérieur, il lui revient de faire voter des budgets en accord avec les missions qu’il assigne aux établissements qui ont à se conformer à une stratégie cohérente et de long terme définie démocratiquement. Il ne s’agit donc pas de donner à la puissance publique ou aux citoyens une capacité de contrôle de la façon dont les chercheurs accomplissent leur métier. Il faut au contraire libérer ceux-ci de cet amoncellement de taches qui ont progressivement accaparé leurs emplois du temps. En retour, ceux-ci doivent accepter un certain volontarisme politique qui s’exprimerait dans une interaction féconde avec les organismes de recherche et sans l’étranglement progressif de toutes leurs marges de manoeuvre et de leur capacité à développer de véritables politiques scientifiques dont nous sommes actuellement les témoins.
Au stade où nous en sommes arrivés, c’est toute l’organisation du système français de recherche qui doit être revu. Ce ne pourra se faire qu’après un processus, complexe à mettre en oeuvre mais absolument nécessaire, de très large élaboration démocratique. Il s’agira de rendre le système globalement plus performant, mais aussi de combler des déficits dans certaines grandes disciplines. L’éternelle question de la transversalité devra être revisitée puisque chacun en convient, c’est aux frontières entre les disciplines que les chances sont les plus grandes de produire ces avancées soudaines qui transforment la perception d’une question, ouvrent de nouveaux champs thématiques, remettent à plat certaines problématiques.
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