Le soutien à l’innovation, comment et pourquoi ?
Partager

Convention ESR EELV Lyon 1/10/11 – Note « Vers une vision écologique de l’innovation » – Synthèse des débats préparatoires de la commission ESR EELV, rédigée par Marc Lipinski

Télécharger la note en PDF (160 Ko)

Rares semblent aujourd’hui les remises en cause de la nécessité et de l’intérêt de financer publiquement la recherche, probablement pour l’idée, largement obsolète, selon laquelle la recherche produisant de nouvelles connaissances, elle amènera automatiquement de l’innovation qui suscitera la croissance elle-même créatrice d’emplois. Pour les écologistes, la recherche ne peut être guidée ou orientée exclusivement par des objectifs de recherche appliquée, même si l’innovation est d’autant plus vivace qu’elle peut s’abreuver à une recherche vivante et menée sans contrainte. En tout état de cause, la vision linéaire et simpliste visant à « simplement » favoriser la croissance ne peut être l’objectif premier d’une politique publique de soutien à la recherche en général, et aux recherches applicatives en particulier. Des arbitrages sont désormais nécessaires quant au choix des activités économiques à promouvoir. En outre, il n’est pas question de limiter une politique de l’innovation aux seuls aspects technologiques. Ce dont nous avons besoin à ce moment de l’histoire réside tout autant dans les multiples innovations sociales et sociétales qui émergent en permanence du terrain, de plus en plus souvent teintées d’ailleurs de technologies numériques innovantes.

Toute politique de l’innovation doit répondre à deux questions : quel soutien à quels projets innovants ? quel accompagnement des entreprises et autres structures innovantes ? Pour répondre à ces questions, une politique écologiste de l’innovation ambitionnera d’évaluer les bénéfices sociétaux escomptés en les mettant en regard des coûts prévisibles pour le corps social et l’environnement.

Quel soutien à quels projets innovants ?

La majorité des observateurs estime que les capacités réelles d’innovation technologique se sont de longue date déplacées des laboratoires et bureaux des grands groupes pour se nicher préférentiellement dans les petites et moyennes entreprises (PME), voire dans les toutes petites entreprises (TPE), ou même chez des individus dans certains secteurs comme le numérique. Les « grands projets industriels » tels que la France en a mené au cours du XXe siècle et dont l’issue a souvent été un échec au coût démesuré – même s’il y eut aussi quelques succès – ne devraient plus être de mise. Or, ce type de politique d’État perdure. L’exemple le plus récent en a été fourni par l’appel à projets pour la création d’instituts de recherche technologique (IRT) (enveloppe totale, deux milliards d’euros) lancé dans le cadre des « investissements d’avenir » du « grand emprunt Sarkozy ». Les six premiers projets retenus1 sont censés recevoir très vite de l’État quelques centaines de millions d’euros immédiatement consommables2. Dans chacun de ces projets, de très grandes entreprises comptent sur un prétendu « écosystème » comprenant de plus petites entreprises et des laboratoires publics de recherche pour se développer. La même philosophie a été appliquée par l’État depuis 2005 avec sa politique des pôles de compétitivité qui, rassemblant des laboratoires publics et des PME autour de grands groupes industriels, sélectionnent des projets innovants pour qu’ils trouvent leur financement auprès de l’État (1,3 milliard d’euros attribués à plus de 1000 projets en sept ans) et des collectivités territoriales (qui ont apporté un complément de 0,7 milliard), au premier rang desquelles se trouvent les régions dont les budgets pour l’innovation sont désormais très préférentiellement captés par les pôles de compétitivité. Enfin, avec la formidable niche fiscale (plusieurs milliards d’euros par an) que constitue aujourd’hui le crédit d’impôt recherche (CIR), ce sont encore les grands groupes – au premier rang desquels les banques et assurances – et leurs filiales souvent créées à cet effet qui en sont les principaux bénéficiaires sans qu’à aucun moment une évaluation qualitative n’en soit effectuée, ni que la masse de la R&D privée développée en France n’en soit statistiquement augmentée.

Le constat est donc simple: nous avons besoin d’une autre politique de l’innovation, bien plus sélective, moins coûteuse pour les budgets de l’État et des collectivités publiques. Elle devra se concentrer sur les PME, TPE et projets individuels et permettre l’émergence d’activités et d’entreprises innovantes dans les secteurs économiques du futur. Parmi ceux-ci figurent à l’évidence l’économie numérique dans toutes ses déclinaisons (mais dont le dynamisme interne présente un impact environnemental de plus en plus problématique, ce qui appelle… de nouvelles innovations) et tous les secteurs liés à la transition écologique vers une économie robuste, réellement soutenable et au service des habitants: énergie, bâtiment, transports, agriculture, biens communs…

Quel accompagnement des entreprises et autres structures innovantes ?

Les aides publiques à l’innovation devront s’adresser à toutes les sortes de projets innovants, ceux qui concernent des produits, des procédés, du design… mais aussi les services offerts au public et toutes les innovations d’ordre sociétal. Cependant, n’importe quel projet innovant, même proposé par une PME et potentiellement créateur de valeur ajoutée, n’a pas vocation à être soutenu publiquement. Ses finalités et ses effets attendus doivent être soupesés à l’aune des trois facettes, économique, environnementale, sociale, qui permettent de le caractériser. Cette analyse doit comporter des critères d’exclusion : risques d’atteintes supplémentaires à l’environnement, technologies jugées trop dangereuses pour les libertés, la santé, la paix… A l’opposé, les aides envisageables doivent voir leur ampleur liée à l’adéquation avec les critères de responsabilité écologique et sociale. Elles peuvent selon les circonstances adopter diverses formes (subventions, prêts remboursables, engagement de commandes…). Le recrutement non seulement d’ingénieurs ou de techniciens mais aussi de titulaires d’un doctorat doit être récompensé. La constitution de grilles d’analyse ad hoc procureun outil pédagogique particulièrement utile, aussi bien pour les demandeurs que pour les évaluateurs.

Les nouvelles technologies, les approches basées sur les concepts du libre et du durable, ouvrent la voie à des pratiques collectives foisonnantes parmi lesquelles le mouvement des logiciels libres, la rédaction de l’encyclopédie Wikipedia ou bientôt la multiplication des « fablabs3 » fournissent des exemples particulièrement éclairants. Ici et là, des politiques territoriales novatrices de soutien à l’innovation sont promues, par exemple autour de Brest où les nouvelles technologies sont mises au service du développement des liens sociaux et de l’engagement citoyen, ou en région Ile-de-France où le Centre francilien de l’innovation travaille à la promotion des innovations responsables. Toutes les initiatives qui visent à développer l’autonomie, les ressources locales, les rapports coopératifs, correspondent à des valeurs fortes de l’écologie politique et méritent d’être encouragées.

Au-delà des aides aux projets existants, des politiques volontaristes doivent aussi servir à en faire émerger d’autres, audacieux et imaginatifs. Loin de l’effet cafétéria invoqué pour le rassemblement d’établissements de formation, de laboratoires publics et d’entreprises sur le plateau de Saclay sur le modèle fantasmé de la Silicon Valley, dans chaque région, chaque territoire d’importance, un organisme financé sur fonds publics (région, autres collectivités territoriales, Oséo…) aurait parmi ses objectifs une mission spécifique d’interfaçage (entre chercheurs, PME, collectivités, associations…). Accueillies sur la base du volontariat, des personnes issues aussi bien du secteur public que du secteur privé seraient appelées à agir en « facilitateurs d’interface » pour faire émerger des projets innovants d’intérêt général. Cet organisme public dont le financement serait assuré par une réorientation progressive d’une partie des sommes budgétaires aujourd’hui affectées au CIR, aurait pour vocation de mettre en phase les structures déjà existantes dans tous les lieux importants de recherche, organismes, universités, en privilégiant la recherche de synergies, à l’opposé du modèle concurrentiel absolu auquel mène inéluctablement la politique actuelle. Entre le modèle du libre particulièrement adapté au secteur de l’économie numérique et les politiques de brevetage systématique utilisées comme protection de la propriété intellectuelle – dont il faudra évaluer les effets pervers et le rapport coût-bénéfice pour l’intérêt général – d’autres modes de protection existent qui appellent aujourd’hui l’application de politiques publiques plus finement définies.

Une autre part de ces budgets CIR serait conservée en particulier pour les jeunes entreprises innovantes. Pour privilégier les innovations socialement utiles, des mécanismes nouveaux seront à explorer. Des appels à candidatures pourraient être lancés vers les entreprises afin qu’elles orientent leurs efforts de recherche vers l’atteinte d’objectifs contractuellement définis. Ces objectifs pourraient par exemple comprendre le développement de traitements et méthodes de prévention des grandes pathologies mondiales sévissant surtout dans des pays à faible potentiel de marché (tuberculose, paludisme, autres maladies parasitaires…), la mise au point de tests diagnostics et de nouvelles thérapeutiques pour des maladies orphelines, l’amélioration des capacités de stockage d’énergie créée à partir de sources réellement renouvelables mais par nature intermittentes, des méthodologies nouvelles d’isolation de bâtiments anciens, etc. Les entreprises retenues à concourir seraient dédommageables de leurs dépenses en fonction et après contrôle des moyens réellement investis. Les plus performantes recevraient des prix dont l’importance pourrait dépendre du régime juridique adopté par l’entreprise en matière de protection ou de mise en biens communs des résultats obtenus.

Certains secteurs du monde entrepreneurial parmi les plus éclairés ont compris à quel point il pouvait être profitable d’encourager le « crowd sourcing », l’innovation ascendante. Car, à l’évidence, la créativité est partout, et l’intelligence citoyenne ne se cantonne ni aux entreprises ni aux laboratoires de recherche, fussent-ils labellisés instituts Carnot. A l’instar des Partenariats institutions-citoyens pour la recherche et l’innovation (Picri) mis en place depuis plusieurs années par le conseil régional d’Ile-de-France pour rapprocher chercheurs et associations autour de projets de recherche co-élaborés et menés de concert, un nouveau label est à créer : assorti de financements ad hoc, il viserait à soutenir les laboratoires publics qui s’engageraient dans des projets innovants en coopération étroite et résolue avec le secteur associatif.

Enfin, toute approche écologiste d’une politique de l’innovation s’accompagne nécessairement d’une réflexion approfondie sur les processus qui font passer les innovations technologiques des étapes du concept et de l’expérimentation à la mise à disposition (ou à l’imposition) du public ou à l’introduction sur le marché. A côté des intérêts financiers et/ou politiques habituellement seuls à l’œuvre, la question doit être enfin posée de la façon dont pourrait s’exprimer un avis citoyen sur l’intérêt des innovations proposées.

————-

1 Nanoélectronique ; aéronautique, espace et systèmes embarqués ; infectiologie ; matériaux, métallurgie et procédés ; infrastructures ferroviaires ; matériaux composites.

2 Ils seront complétés par les intérêts générés par le placement de quelques autres centaines de millions d’euros.

3 Littéralement laboratoires de fabrication, les fablabs sont des lieux de fabrication de prototypes ou d’objets en nombre d’exemplaires restreint à l’aide d’outils à commande numérique peu onéreux et faisant appel à des logiciels libres.

Une réflexion au sujet de “Le soutien à l’innovation, comment et pourquoi ?

Les commentaires sont fermés.