Convention ESR EELV Lyon 1/10/11 – Note « Investir dans la confiance » – Synthèse des débats préparatoires de la commission ESR EELV, rédigée par Thomas Lamarche
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Un des grands chantiers auxquels devront faire face les professions, les pouvoirs publics, mais aussi les « nouveaux managers » de l’école, de l’université et de la recherche… – donc de fait la société dans son ensemble – sera de trouver le moyen de prendre en compte les effets produits par l’activité de l’ESR. Il s’agira en effet decesser de seulement tenir compte des effets apparents ou immédiats ou visibles (classement de Shanghai, nombre de bacheliers), pour plus fondamentalement s’attacher aux résultats à long terme, souvent indirects, moins visibles…
On doit considérer que, comme une activité de services (ce que sont la recherche et l’éducation) est une activité de transformation (d’un être, d’une collectivité, d’une profession, d’une famille…), il est dès lors nécessaire de distinguer ce que le service transforme, ou produit, à long terme d’une part ; et d’autre part ce que le service affiche en tant que performance immédiate, c’est-à-dire juste après que l’activité de service soit accomplie (fin d’une année de cours, d’un programme ANR…). Le résultat immédiat est celui des indicateurs qui se sont imposés et qui ne font que s’intéresser aux actions ou aux projets et non à ce qu’ils produisent ou transforment réellement. Lorsque l’on s’intéresse à ce que produisent de telles activités, et particulièrement lorsqu’il s’agit de service collectif, il est nécessaire de caractériser en quoi la production a des effets utiles pour la société.
Or, dans bon nombre de cas, les effets utiles pour la société n’apparaissent que décalés dans le temps. Ceci est caractéristique autant des domaines de la santé, de l’éducation, que de la police. Il y a un décalage entre les moments des actes, c’est à dire le travail – le soin, la formation, les actes de police… – et la production des effets utiles – l’amélioration, éventuellement durable, de la santé, la connaissance ou la compétence, l’amélioration de la sécurité publique…
Les effets de tels services ne sont pas seulement produits par des professionnels compétents, ils sont coproduits par ceux qui en bénéficient. Produire du savoir, de la compétence supposent que les usagers soit impliqués, motivés, réceptifs… Les conditions pour que l’ESR produise des résultats pour la société, suppose que la société soit impliquée dans les décisions, les usages. Ainsi on peut dire que la démocratie dans l’ESR n’est pas un complément, c’est une condition pour que des effets soit produits.
Les effets utiles n’apparaissent pas non plus au regard des seuls bénéficiaires apparents (c’est à dire pas au regard des seuls individus), mais plus largement de la collectivité. Il convient d’intégrer ce que les économistes appellent des externalités positives : l’amélioration de la santé ou des compétences d’une personne ou d’un groupe social a des répercussions sur l’ensemble de la collectivité, au-delà du bénéfice individuel.
De ce fait, il s’agit de produire autre chose que des indicateurs de performance synthétique de court terme. Cela suppose de rétablir des formes de confiance, car la confiance (confiance à l’égard de la profession, confiance à l’égard des établissements, confiance à l’égard des chercheurs, voire confiance à l’égard de la population en tant que coproductrice des décisions publiques majeures) est la condition pour se défocaliser du court termisme et ses indicateurs de performance immédiate et de la performance et l’excellence (laquelle n’est pas considérée au bénéfice de la société mais d’une seule élite qui cherche à se confronter aux autres élites mondiales).
Une certaine forme de confiance devient ainsi un capital, non pas individuel mais collectif, on pourrait même considérer que le rétablissement de la confiance est une sorte de patrimoine collectif. Ainsi s’engager sur une politique de confiance est un investissement immatériel. Il convient pour la profession, mais aussi pour la recherche (et l’enseignement) dans son ensemble de réfléchir à la confiance en tant que patrimoine collectif. Ce faisant le Nouveau management public et le flux des réformes actuelles apparaîtront comme ce qu’ils sont : des instruments de la défiance. Défiance des dirigeants à l’égard des salariés, défiance des élites étatiques à l’égard des institutions de l’ESR, défiance de l’État à l’égard de la société civile, défiance de l’éducation nationale à l’égard des parents. Bien sûr parler de confiance pourrait être considéré comme une naïveté, ce serait une grave erreur. A contrario considérer les activités travail à partir de l’autonomie des salariés montre à quel point il est nécessaire d’accorder la confiance non seulement dans une perspective de mobilisation et de motivation, mais aussi pour éviter les travers des dispositifs de contrôle qui asservissent et soumettent.
L’enjeu de la confiance est un enjeu de démocratie. Il s’agit alors de regarder la proximité comme un espace possible d’appropriation, et donc d’autonomie, alors que ce dont on souffre est profondément issu d’une perte de pouvoir de chacun (parents, profs, chercheurs, chefs d’établissement…). Cette perte d’autonomie (voire la discussion autour d’une forme d’hétéronomie) relève tant d’une bureaucratie qui s’étend que d’une division du travail qui s’approfondit. Bureaucratie et division du travail sont deux tendances séculaires du capitalisme. Ces tendances produisent une perte d’autonomie des sujets. Ainsi investir dans la confiance et dans des règles permettant aux acteurs à l’échelle locale de produire ensemble (co-produire) est d’une part un gage de construction d’instances démocratiques, et d’autre part un moyen de penser ensemble à ce que l’on produit (finalité de la recherche, réalité de l’éducation). Bref il s’agit de penser des espaces dans lesquels peut se discuter la science, l’éducation, le savoir. Or ce n’est qu’avec l’ensemble des acteurs, identifiés, reconnus, donc confiants que l’on pourra déterminer les activités nécessaire à la production d’une utilité sociale discutée collégialement.
Une réflexion au sujet de “Investir dans la confiance : un grand chantier”
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