Des Régions à l’Europe, quel paysage pour l’ESR au XXIe siècle ?
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Convention ESR EELV 1/10/11 – Note « Des Régions à l’Europe, quel paysage pour l’ESR au XXIe siècle ? » – Synthèse des débats de la commission ESR EELV, rédigée par Laurent Audouin

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Les licences sont-elles condamnées à devenir des « colleges »?

L’intérêt des licences universitaire est d’offrir un premier contact avec le monde académique. Le modèle américain du college, s’il devait s’installer en France, s’accompagnerait sans doute d’économies budgétaires sensibles puisque les enseignants se consacreraient à plein temps aux étudiants ; mais il marquerait un appauvrissement pédagogique évident, que nous refusons fermement. L’heure est au contraire à mettre les étudiants dans les meilleures conditions pour profiter de l’ensemble des possibilités qu’offre leur passage par l’université.

Pour pouvoir continuer à accueillir à l’Université une large diversité de publics, il faut y créer des parcours différenciés. Ceux qui ne peuvent accéder immédiatement aux exigences d’une licence doivent se voir proposer des cursus adaptés (année préparatoire ou licence en 4 ans à partir du bac, formation sur 2 ans permettant d’obtenir la licence à la suite d’un BTS…). Il faut également se donner les moyens humains d’un fort renforcement de l’encadrement pédagogique : l’autonomie de travail que suppose la forme universitaire ne s’acquiert pas du jour au lendemain. Il faudra aussi réfléchir à des moyens de prendre en compte les différents rythmes d’apprentissages (possibilité de faire des doubles cursus pour les « forts en thème » par exemple).

Les premiers cycles universitaires devraient également incarner l’idéal pluridisciplinaire, souvent invoqué mais aujourd’hui bien peu présent. La spécialisation en cours de licence devrait être plus progressive, et un système de composantes dites « majeure » et « mineure » être systématiquement possible, cette dernière pouvant constituer une part significative des unités d’enseignement validées (par exemple entre un sixième et un tiers, au choix des étudiants). Ces « mineures » pourraient d’ailleurs être pour partie des activités de nature diversifiée (activités associatives, tutorat, responsabilités collectives dans le monde académique…).

Que faire des classes préparatoires aux grandes écoles – CPGE ?

Les classes préparatoires aux grandes écoles – CPGE sont l’ultime incarnation du mythe de la méritocratie à la française. Censées être un outil de promotion sociale (recrutement sur le seul mérite scolaire), les « prépas » sont devenus au contraire un outil de reproduction sociale : par exemple, à résultats égaux, les enfants d’ouvriers sont 2 fois moins nombreux à tenter d’y entrer que ceux de cadres. Elles privent les licences universitaires des meilleurs bacheliers et, en amenant mécaniquement leurs élèves vers les écoles, les détournent de la formation à la recherche. Enfin, les effets délétères de ce système pour les étudiants sont aujourd’hui reconnus, et les bénéfices souvent mis en avant (dépassement de soi, ascèse) justifient difficilement une telle souffrance collective, d’autant que les moyens extrêmement conséquents donnés à l’encadrement des « prépas » pourraient être utilisés de manière différente, par exemple au bénéfice d’étudiants en difficulté.

Il convient donc de faire converger licences et classes préparatoires : augmenter l’encadrement pédagogique des premières et y valoriser les enseignements à caractère pluridisciplinaire (composante obligatoire de sciences humaines et sociales pour les sciences de la matière et de la vie, et réciproquement), et migrer progressivement les secondes vers l’université. La réforme progressive des modes de sélection des écoles (passage du concours au dossier) rendra de toute manière obsolète la notion même de classe préparatoire, qui pourront évoluer naturellement vers une logique de cursus renforcé avec une découverte précoce des aspects expérimentaux et de recherche. Une telle réforme doit offrir des évolutions attrayantes aux professeurs de « prépas », par exemple en leur offrant la possibilité de devenir des enseignants-chercheurs à part entière, avec notamment la possibilité de démarrer une activité de recherche (et de préparer un doctorat pour ceux qui n’en seraient pas encore titulaires), avec à terme des possibilités d’accéder à des fonctions de maîtres de conférence ; ou bien en les reclassant à temps plein à l’université sur la base d’un service d’enseignement renforcé.

Comment sortir par le haut de la césure entre universités et écoles ?

Si des passerelles se créent lentement entre universités et écoles, l’enseignement supérieur français reste profondément structuré par sa dichotomie. La primauté de fait des écoles dans la formation des décideurs économiques, administratifs et politiques, outre son impact en termes de reproduction sociale, fait que ceux-ci n’ont le plus souvent aucune pratique de la recherche et de ses méthodes : affrontement de problématiques nouvelles, temps de l’analyse, méthodologie du doute, confrontation des idées… Mais ce découplage entre recherche et formation des cadres trouve désormais ses limites, comme en témoignent les difficultés récurrentes de l’industrie française à investir les secteurs réellement innovants et celles de notre classe politique à appréhender les changements de paradigmes qu’impose le défi écologique.

La situation n’est certes pas figée : les universités s’efforcent de développer des filières « professionnalisantes », tandis que les écoles les plus prestigieuses essaient d’intégrer une dimension de recherche – un effort qui doit parfois autant, si ce n’est plus, à la reconnaissance mondiale dont bénéficie la formation par la recherche (sans laquelle il est impossible de figurer dans les classements internationaux) qu’à une réelle prise de conscience de sa pertinence…

Ces évolutions sont cependant beaucoup trop timides pour remédier à cette malheureuse exception française. Redonner toute sa place à la formation par la recherche n’implique pas de démanteler des écoles, structures qui fonctionnent et possèdent des identités fortes et des équipes pédagogiques efficaces dans leur domaine ; mais le rapprochement avec les universités doit être largement accéléré, au bénéfice de tous. Les formations de décideurs généralistes pourront ainsi entrer à l’université, tout en ouvrant les filières d’ingénierie à la dimension de la recherche et de l’innovation. De tels rapprochements devraient s’opérer dans le cadre de structures fédératives permettant des transitions culturelles progressives, structures pouvant s’inspirer pour partie des PRES. A terme, les écoles pourraient devenir des instituts universitaires à part entière, conservant une forte autonomie mais parties prenantes de la dynamique de pôles universitaires rénovés.

Indispensables, ces rapprochements ne régleront toutefois pas une autre singularité française, la médiocre reconnaissance du doctorat sur le marché de l’emploi. Or cette reconnaissance est une condition préalable à ce que la formation par la recherche soit réellement attrayante pour les étudiants. Le doctorat doit donc immédiatement entrer dans les grilles de la fonction publique et les partenaires sociaux devront être convoqués pour travailler à une position spécifique du doctorat dans les conventions collectives.

Les Régions sont-elles légitimes à intervenir dans l’ESR ?

Les rapports entre universités et territoires ont connu deux grandes phases : une quasi-absence hors de Paris et de quelques métropoles régionales jusque dans les années 60, puis une multiplication des établissements universitaires, d’abord sous l’impulsion de l’Etat qui en a fait des instruments d’aménagement du territoire, puis à la demande des collectivités locales lorsque celles-ci, dans les années 80, ont mesuré à quel point universités et laboratoires sont des atouts économiques, sociaux et culturels. Si ces implantations multiples ont eu pour vertu de donner aux universités une dimension de proximité, donc d’ouvrir leur accès à des publics plus diversifiés et/ou modestes, elles n’ont pas toujours été menées avec un souci de cohérence scientifique, ni avec les moyens nécessaires pour en faire des pôles universitaires complètement équipés qui auraient permis aux enseignants-chercheurs d’exercer leur activité de recherche sur place.

Pour les écologistes, l’heure est à un troisième temps dans ces rapports : universités et territoires doivent désormais dialoguer pour que les développements de sites conjuguent un effet de proximité nécessaire à une démocratisation réelle de l’enseignement supérieur et la mise en place de lieux de recherche possédant la taille critique nécessaire (si le concept est contestable s’agissant de la taille des laboratoires ou des équipes, il resurgit dès lors qu’on s’intéresse aux problèmes d’infrastructures, qu’il s’agisse des bibliothèques pour les sciences humaines et sociales ou des équipements techniques des sciences de la matière et de la vie). Ce dialogue n’est possible que si les collectivités locales, en premier lieu les Régions, ont la possibilité de mener une politique autonome en la matière, ce qu’elles ont fait avec volontarisme depuis une vingtaine d’années. Dans ce contexte, la suppression de la clause générale de compétence par la réforme de la loi sur les collectivités territoriales, qui priverait les Régions de toute base légale d’action à partir de 2014, est aussi aberrante qu’inacceptable. Nous défendons au contraire l’inscription explicite de l’ESR parmi les compétences régionales, et proposons de mettre à l’étude un transfert du bâti universitaire vers les régions sur le modèle de celui mis en place pour les lycées, qui a prouvé son efficacité. Une telle mesure ne se conçoit toutefois que dans le cadre de transferts financiers adéquats de la part de l’Etat accompagnés d’une action régulatrice au niveau national.

Quelle vision pour l’Europe de l’ESR ?

A l’échelle européenne, les textes de référence en matière d’enseignement supérieur sont aujourd’hui le processus de Bologne et dans une moindre mesure celui de Lisbonne. La formulation très lâche de ces textes offre des marges de manœuvre politique importantes : il est donc excessif d’affirmer que la politique de casse de l’enseignement supérieur et de la recherche menée par la droite depuis 2002 est leur conséquence directe. Ces 2 processus comportent à la fois des éléments intéressants (harmonisation des cadres de diplômes, valorisation de la connaissance) et de redoutables dangers (apologie de la concurrence généralisée, accent sur les compétences aux détriment des savoirs, vision utilitariste et marchandisation de la connaissance). Il faut souligner et s’appuyer sur les premiers, tout en combattant résolument les seconds.

10 ans après Lisbonne, il est grand temps de donner un second souffle à la construction d’un espace européen des savoirs. A l’image de tout le processus de la construction européenne, il faut rompre avec l’obsession économique et néo-libérale pour donner la priorité au développement humain. Par exemple, en 1998, une première déclaration de Bologne, à l’initiative du monde académique lui-même, avait débouché sur une charte européenne de l’université. Cette « Magna Charta » (en référence à la charte anglaise de 1215) pose comme principes l’indépendance de l’université face à tous les pouvoirs (politique, économique, idéologique), l’intrication entre recherche et enseignement, le rôle de garant des moyens et des libertés universitaires dévolu aux pouvoirs publics, l’ouverture culturelle et le rejet des barrières de toute nature. Ce texte, éclipsé par les décisions de la conférence inter-gouvernementale de l’année suivante, devrait servir de base à une refondation de la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur, conçu comme un véritable processus communautaire au lieu d’être un simple cadre de discussion inter-gouvernemental.

En matière de recherche et d’innovation, les programmes cadres de recherche et développement – PCRD ont su évoluer d’une vision initialement très applicative pour intégrer une dimension science et société et s’ouvrir à la recherche fondamentale. En l’absence de structure de recherche réellement européenne, la dimension de projet demeure difficilement contournable ; en revanche un effort important devrait être fait sur l’allègement des procédures de contrôle, notamment au niveau du temps de travail dont le niveau de détail confine aujourd’hui à l’absurde. A moyen terme, le mouvement d’intégration européen pourrait déboucher sur l’apparition d’un véritable « Centre Européen de la Recherche Scientifique – CESR », habilitant des laboratoires sur le modèle des Unités Mixtes de Recherche (UMR) soutenues en France par le CNRS, et créant un statut du chercheur européen.

Peut-on réformer l’Aéres ?

L’Aéres, avec son fonctionnement digne d’une agence de notation financière et sa scandaleuse opacité, est une des réformes gouvernementales les plus emblématiques et les plus dommageables pour notre système d’ESR : les notes attribuées sont rapidement devenues de véritables couperets pour l’avenir des structures, tandis que les procédures arbitraires sont à rebours des pratiques universelles d’évaluation par les pairs. Pour autant, la pluralité des structures du système de recherche français, les tutelles multiples (au premier rang les laboratoires mixtes) plaident en faveur d’une structure d’évaluation commune, creuset d’un brassage des cultures des différents organismes et permettant des regards croisés et des retours d’expérience qui ne peuvent être qu’enrichissants. Il serait dommage de jeter le bébé d’une évaluation partagée avec le bain de l’Aéres…

Une structure commune à l’ensemble de l’ESR (appelons-la Céres – C pour Comité ) aurait compétence pour l’évaluation de l’ensemble des laboratoires et structures d’enseignement recevant des dotations du MESR (y compris par exemple l’Inserm, le CEA ou les écoles concernées). Son fonctionnement serait régi par un ensemble de principes fondateurs : 2/3 de membres élus pour un mandat non-renouvelable de 4 ans, système de collèges garantissant la pluralité des origines, respect des règles européennes de transparence, publicité des avis avec droit de réponse, possibilité d’expression d’avis divergents d’une partie du comité de visite dans le rapport, appréciation strictement qualitative (suppression des « notes »).

Faut-il une Agence Nationale pour financer la Recherche?

L’idée d’une agence agissant ponctuellement, dans un registre complémentaire à celui des organismes, figurait déjà dans les propositions des états généraux de 2004. Le gouvernement a doublement perverti cette idée : l’ANR s’est vue dotée de moyens disproportionnés et son financement s’est fait à volume total constant, donc en rabotant les financements récurrents des laboratoires. Mais outre la charge de travail administratif inédite qu’elle impose aux équipes, l’ANR a acquis une influence délétère jusque sur les choix de recherche : en systématisant un financement par projet, elle favorise les recherches applicatives ou à l’issue prévisible à court terme, au détriment de la prise de risque et de l’exploration, et concentre les financements sur les sciences exactes et du vivant, plus à même de cerner de larges projets et d’engager de coûteux investissements que les sciences humaines et sociales. Il faut donc, dès 2012, renvoyer vers les organismes et les universités une bonne partie des financements de l’ANR pour revenir à un financement plus équilibré de la recherche.

Une agence de financement peut néanmoins trouver une place dans un paysage de l’ESR rénové, selon 3 axes. Des projets ou des axes de recherche très transversaux entre organismes et disciplines peuvent bénéficier d’un regard extérieur (trans-organismes et trans-disciplinaire). L’Etat peut souhaiter conduire des appels d’offres thématiques pour faire émerger des disciplines jusque là peu développées ou accélérer une recherche sur un domaine précis. Des projets de recherche associant monde académique et associations ou collectivités, sur le modèle des Picri franciliens, peuvent répondre à des besoins sociétaux sans forcément pouvoir trouver aisément un financement auprès des structures académiques. Pour répondre à ces 3 types de besoins, une ANR dont le budget serait limité autour de 200 à 300 M€ par an serait un outil intéressant. Son fonctionnement devra bien sûr devenir pleinement transparent et la formation de ses conseils scientifiques largement démocratisée.

Le CNRS a-t-il encore une place aux côtés d’universités autonomes ?

Historiquement, le CNRS a été mis en place pour dynamiser la recherche française, que les universités s’avéraient peu aptes à entraîner. S’il a pleinement réussi sa mission, il a aussi pérennisé cette situation, les universités n’ayant dans nombre de disciplines d’autre possibilité que de « suivre » au travers de leurs UMR. De plus, il est une des meilleures incarnations d’une recherche largement indépendante, pouvant donc être radicalement critique du pouvoir politique – ce qui lui a valu dès les années 70 une franche hostilité de la droite, jamais démentie depuis. Avec l’aspiration à l’autonomie des universités, le gouvernement a trouvé un prétexte pour démanteler – très progressivement pour le moment, mais sûrement – le CNRS en lui retirant son rôle d’opérateur de recherche. Si les évolutions en cours devaient se poursuivre, il n’en resterait à terme qu’un ensemble de personnels et d’équipements dont le travail dépendrait entièrement de financements extérieurs, donc de décisions stratégiques prises ailleurs (notamment au ministère, caché derrière les grandes orientations données à l’ANR ou agissant ouvertement au travers des initiatives liées au grand emprunt), à moins qu’il ne soit entièrement dépecé afin de renforcer des organismes plus dociles et/ou plus proches des applications.

Nous pensons au contraire que l’existence d’un organisme associant liberté académique poussée (autonomie de décision, mobilité des chercheurs, possibilité de faire de la recherche sans obligation d’enseignement) et capacité de coordination à l’échelle nationale dans un souci de vision globale est un atout considérable pour notre tissu de recherche et notre pays. De plus, le modèle des UMR a prouvé son efficacité. Partant de ce constat, nous proposons non seulement de restituer au CNRS son plein rôle d’opérateur de recherche, mais de renforcer sa vocation à couvrir l’ensemble du champ des connaissances et ses missions d’expertise et de dissémination des connaissances, en l’incitant à se saisir de champs thématiques insuffisamment structurés en France comme les études de genre ou l’agro-écologie.. Pour autant, il n’est plus envisageable que les universités françaises ne soient pas des partenaires à part entière des choix scientifiques : une partie du financement de la recherche fondamentale doit leur être confiée.

L' »excellence » est-elle soluble dans une politique de gauche ?

« L’excellence est le nom d’un truisme énorme et d’un désastre scientifique« , écrivaient il y a quelques mois Barbara Cassin et Philippe Büntgen dans une tribune lumineuse. On ne saurait mieux dire. L’excellence n’existe que parce que la majorité n’est pas excellente, l’excellence ne trouve son sens que pour vouer aux gémonies ce qui ne l’est pas. L’excellence est en quelque sorte l’archétype d’une politique de droite contemporaine : la compétition érigée en moteur de l’évolution, la concentration des richesses (ici, le financement public) présentée comme facteur d’efficacité, la démocratie écartée comme une lourdeur inutile, un contrôle de tous les instants traduisant un manque radical de confiance.

Un gouvernement de gauche devra changer radicalement de grille d’analyse, pour remettre la coopération et la pluralité au cœur des politiques d’ESR. Abandonner l’excellence, c’est aussi arrêter net la multiplication des structures et voies de financement créées en son nom, notamment au titre du Grand Emprunt. Mis à part les Equipex, projets concrets souvent issus d’un travail de terrain, les Labex, Idex sont autant d’outils de déstructuration de l’ESR et de contournement de sa dimension démocratique. Les opérations non démarrées devraient être stoppées net, et celles déjà engagées évaluées avec attention, leur financement étant éventuellement redistribué auprès des organismes partenaires. Les financements du plan campus devraient être intégrés à une initiative globale de remise à niveau du bâti universitaire, concernant cette fois toutes les universités. Enfin, certains grands projets (Iter, Astrid, Saclay…) portés à bouts de bras par le pouvoir politique et financés au titre des investissements d’avenir seront gelés et leur pertinence remise en débat, par exemple par l’organisation de conférences de citoyens ou de débats organisés sous l’égide de la Commission nationale du débat public.

La précarité des personnels et la rémunération individuelle (« au mérite ») sont l’horizon ultime de l’excellence, maintenant les personnels sous tension et sous pression. Pourtant, dans les deux cas, au-delà même de la vision scandaleuse des ressources humaines qu’elles représentent, c’est la qualité même de la recherche et de l’enseignement qui est menacée : la possibilité de travailler dans la durée, sur des périodes de plusieurs années, est incontournable pour développer des projets de recherche véritablement ambitieux et est donc incompatible avec des personnels ballottés de contrat précaire en contrat précaire. Quant au travail collaboratif en équipe, il est au cœur même de l’ESR : prétendre distinguer une personne dans une équipe est inutile et même contre-productif. Il y a aujourd’hui urgence à enrayer la montée de la précarité dans l’ESR : un plan pluri-annuel de transformation des emplois précaires, qui correspondent de fait à des emplois permanents (d’enseignants chercheurs, de chercheurs et de personnels administratifs et techniques), est non seulement souhaitable humainement, mais permettra de renforcer la qualité des activités menées par ces personnels. Il est en revanche impératif que ce plan soit progressif, afin de garantir la qualité des recrutement et d’éviter les effets d’accordéon.

Quelle autonomie pour quelles universités ?

En fait d’autonomie, la LRU a surtout mis en place un système managérial de direction des universités – un choix logique pour un gouvernement persuadé que seule la compétition est source d’efficience. L’idée d’une autonomie financière, sous-jacente à la mise en place des fondations, est un mythe dangereux : le mécénat étant limité, les éventuels moyens ne pourraient venir que du privé (avec toutes les dérives qu’on peut anticiper), de la valorisation directe de la recherche (là aussi facteur de dérives) ou des poches des étudiants, une option qui n’en est pas une. Les pouvoirs excessifs qui ont été confiés aux présidents et la marginalisation de fait des CS et CEVU dans les processus de décision sont non seulement des reculs démocratiques inacceptables, mais aussi des entorses au principe de collégialité des décisions et d’indépendance des chercheurs qui prévalent dans la plupart des pays du monde. Dans le même temps, les procédures d’habilitation des maquettes d’enseignement donnent un pouvoir fort au ministère (là où une autonomie pédagogique consisterait à fixer un cadre national et à laisser les universités opérer dans ce cadre), tout comme le financement de la recherche sur projets contraint les scientifiques quant à leurs choix de recherche et contredit le principe d’indépendance scientifique. Malgré les ratés liés au manque de préparation à l’exercice de compétences nouvelles et à un contexte de politiques publiques marquées au fer rouge de la RGPP et des restrictions budgétaires, la délégation de gestion a été assumée correctement. Mais l’extension de l’autonomie de gestion aux ressources humaines, dans le cadre rigide d’un volume d’emplois figé, a mis des universités en situation difficile, poussant au recours aux contrats précaires ou à devoir arbitrer entre enseignants chercheurs et personnels administratifs.

Une véritable autonomie universitaire est souhaitable et nécessaire, loin du trompe-l’œil qu’est la LRU. Mais elle doit se fonder sur une démocratie interne renouvelée, avec un président et un conseil d’administration gestionnaires, le CS et le CEVU étant pleinement compétents sur les décisions scientifiques pour le premier et pédagogiques pour le second. De même, toute structure fédérative comme les PRES doit respecter les mêmes principes de direction collégiale et démocratiquement élue. Un travail d’accompagnement poussé doit être entrepris pour permettre aux directions des universités d’assumer efficacement l’ensemble de leurs missions nouvelles ; un système de formation à la direction des universités, sur le modèle des formations de directeurs d’hôpitaux, pourrait ainsi être mis en place. La dévolution du bâti ouvre la voie à toutes les dérives : mieux vaudrait un transfert aux Régions ou, peut-être, mettre à l’étude un système de baux emphytéotiques qui offriraient aux universités une maîtrise de fait des actions entreprises sur leurs bâtiments tout en garantissant leur maintien dans le giron public. Sur le plan des ressources humaines, le caractère national des statuts doit être pérennisé, les universités pouvant conserver une délégation de gestion des affaires courantes (paie, gestion des heures complémentaires et des congés…) et la maîtrise d’une moitié seulement des promotions, le reste demeurant du ressort d’une instance nationale.

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