Albert Jacquard : L’homme qui savait pleurer
Partager

Par Philippe Meirieu

Il aura été de tous nos combats. Présent et fidèle. Modeste et obstiné. Toujours lumineux.

Fils de notables, il n’a cessé de dénoncer les privilèges et de s’insurger contre toutes les inégalités. Militant infatigable du « droit au logement », il ne tolérait pas que quiconque soit, à jamais, assigné à résidence.

Polytechnicien brillant, il a lutté jusqu’au bout contre les ravages de la compétition acharnée et de la sélection indigne. Il ne supportait pas la frénésie évaluative et classificatoire qui gangrène nos sociétés.

Ancien haut-fonctionnaire, il ne s’est jamais laissé impressionner par les oukases des technocrates ou les calculs des financiers. Il ne baissait pas les bras devant les « C’est pas possible ! » ou les « On n’y arrivera pas ! ».

Généticien remarquable, il s’est battu contre toutes les simplifications innéistes, opposant à la fatalité paresseuse une foi sans faille dans l’éducation. Il savait que nul n’est jamais condamné à l’échec et que tout être peut apprendre et grandir.

Militant écologiste de la première heure, il n’a cessé de rappeler que, dans un monde fini, la seule ressource infinie est l’humain. L’humain qu’il ne voulait ni arrogant ni suffisant. L’humain qu’il savait fragile et infiniment précieux à la fois. L’humain qu’il défendait contre toutes les formes brevetage et de marchandisation.

Contrairement aux esprits forts qui campent dans l’indifférence ou se réfugient dans l’ironie, Albert Jacquard, quand il était bouleversé, n’hésitait pas à pleurer. Je l’ai vu plusieurs fois, face à l’injustice ou à la cruauté, devant un visage d’enfant ou en retrouvant un ami, essuyer une larme. Nous sommes nombreux aujourd’hui à le pleurer. Sans honte. Avec une infinie tristesse. Mais en gardant en bandoulière l’espérance qu’il nous a laissée.

Philippe Meirieu
Professeur à l’université de Lyon
Vice-président de la Région Rhône-Alpes (EELV)