Intervention France Biotech – 23 janvier 2012
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France Biotech organisait le 23 janvier 2012 le premier « Conseil Stratégique des Industriels de l’Innovation en Sciences de la Vie »  sur l’avenir des Biotechnologies, et recevait les principaux partis politiques engagés dans la campagne présidentielle 2012. Marc Lipinski, Conseiller Régional Ile de France Europe Ecologie Les Verts, et membre de la Commission Recherche EELV représentait notre mouvement. Voici son intervention.

Voici la conclusion de cette intervention, qui résume notre propos

Vous l’avez compris, je l’espère, les écologistes sont éminemment favorables à la recherche scientifique, ils sont même friants d’innovation, dans les outils qu’ils proposent comme dans les projets poursuivis. C’est en particulier le cas dans les sciences du vivant et le secteur des biotechnologies n’y échappe pas. Il est et restera, vous pouvez en être assurés, au coeur de notre attention et de nos réflexions.

Intervention complète

Je vais tenter dans les 20 minutes qui me sont imparties, d’exposer rapidement la vision des écologistes sur les questions de recherche et d’innovation en général, et je n’oublierai pas d’évoquer également ce qui nous rassemble ici, le secteur des biotechnologies.

Tout d’abord, je voudrais vous rappeler que l’écologie politique est parmi les grands courants de pensée politique celle qui est la plus proche de la science. La plus en phase avec ce que les Anglo-saxons appellent la « science-based policy ». Pour des raisons évidentes de prise en compte des grands enjeux planétaires, des enjeux de long-terme, des interactions entre l’espèce humaine et la nature; des rapports que nous avons commencé à modifier en profondeur depuis l’avènement de la révolution industrielle fin XVIIIe et surtout au XIXe siècle. Si bien que certains scientifiques, tels Paul Krutzen, prix Nobel de chimie en 1995, ou Claude Lorius, un des très grands glaciologues mondiaux, un de ceux qui ont contribué à notre compréhension actuelle de l’évolution des climats, deux scientifiques de haute volée donc, proposent le terme d’anthropocène pour décrire l’ère géologique dans laquelle nous serions entrés, une ère où le facteur de changement essentiel est apporté par l’espèce humaine et ne provient plus seulement de l’évolution intrinsèque de la planète ou de la multitude des espèces qui l’ont peuplée depuis l’apparition de la vie sur notre seule et unique résidence possible, la Terre.

Donc, oui, les écologistes sont des adeptes de l’extension continue des connaissances. Et nous défendons une politique volontariste de soutien à la recherche et aux sciences, en impliquant autant que faire se peut les citoyens. Une politique qui s’applique à tous les domaines, sans tabous, sans exclusive. Ce qui ne nous empêche pas de prôner certaines précautions, et aussi certaines priorités en matière d’investissement public dans la recherche.

Ainsi, dans le champ ô combien crucial de l’énergie, nous pensons qu’il faut faire infiniment plus d’efforts pour la recherche dans les énergies réellement renouvelables, plutôt que de tenter de maintenir le plus longtemps possible l’énergie nucléaire qui est à l’évidence vouée à s’effacer, pour de multiples raisons dont la moindre n’est pas les limites de la ressource première, l’uranium. Pour prendre un second exemple qui peut intéresser ici, il nous semble important de consacrer une part plus grande des crédits de recherche à l’amélioration des techniques d’agronomie écologique plutôt qu’à investir dans le développement de végétaux génétiquement modifiés dont l’intérêt et l’objectif, quoi qu’on nous en dise, est principalement d’assurer une position durablement dominante à quelques majors de l’agro-industrie.

Et nous assumons notre position : oui, nous proposons des priorités sur les grands champs thématiques à explorer. Parmi ces champs prioritaires, les sciences du vivant. Pourquoi? Tout simplement parce que les programmes que nous défendons sont tournés vers le mieux-être des femmes et des hommes que nous sommes. C’est d’ailleurs le titre du projet – Vivre mieux – vers la société écologique – sur lequel tous les candidats d’Europe-Écologie – les Verts feront campagne en 2012, de la candidate à l’élection présidentielle, Éva Joly, au nom de laquelle j’interviens aujourd’hui, aux candidates et candidats qui se présenteront aux centaines d’élections locales. Et c’est bien de ces élections locales qu’émergera la majorité parlementaire qui gouvernera effectivement ce pays à partir de l’été 2012. Une majorité qui sera nécessairement composite, aucune force politique ne pouvant plus prétendre diriger seule, avec succès, un pays aussi complexe que la France.

Alors, en terme de politique publique de soutien à la recherche et à l’innovation, quelle est la situation aujourd’hui? Quel diagnostic portons-nous sur la réalité des choses dans la France de ce début 2012 ?

Il nous faut d’abord prendre la mesure des transformations qui ont bouleversé le système français de recherche depuis quelques années, et singulièrement depuis l’énorme mobilisation qui s’était manifestée dans la société française en 2004, à l’appel du mouvement Sauvons la recherche ! et qui avait abouti à une défaite en rase campagne de la droite gouvernementale de l’époque, qui avait dû retirer ses projets de précarisation des emplois scientifiques et qui avait perdu dans la foulée les élections régionales de 2004. Ce qui, incidemment, m’avait amené à la vice-présidence du Conseil régional d’Île-de-France, en charge de la recherche et de l’innovation.

En quelques années donc, et en très bref, nous avons connu :

  • la création en 2005, puis la montée en puissance, de l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, d’abord dotée de 350 millions d’euros et qui a désormais plus de 20 milliards à gérer;
  • la création de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’Aéres, totalement débordée par son appétit pantagruélique et largement critiquée par la communauté pour ses évaluations simplistes et dévoyées dans leur utilisation;
  • la création en 2006 des Pôles d’enseignement supérieur et de recherche, les Pres, pour plus de mutualisation entre établissements d’enseignement supérieur et de recherche, ce qui était un objectif parfaitement louable, mais qui s’est trouvé très vite mis en porte à faux par le lancement du Plan campus;
  • la création des pôles de compétitivité parmi lesquels un certain nombre dans le domaine de la santé ;
  • la loi sur les Libertés et les responsabilités des universités, dite loi LRU, à en croire les commentateurs succès principal du quinquennat Sarkozy? Pour certains établissements privilégiés peut-être, qui ont bénéficié d’augmentations réelles de moyens accompagnant l’accroissement de leurs tâches obligatoires, mais pour l’ensemble du tissu universitaire du pays, certainement pas;
  • la création d’Alliances entre grands organismes de recherche, telle Aviesan, Alliance pour les sciences de la vie et de la santé, qui regroupe l’Inserm, l’Institut des sciences biologiques du CNRS – l’un des 10 instituts qui composent désormais le CNRS depuis qu’il a été partagé à la découpe, sous prétexte de plus d’interdisciplinarité ! – la Direction des sciences du vivant du CEA, l’Inra, l’Institut Pasteur, le Réseau des centres hospitalo-universitaires et j’en passe;
  • Last but not least, nous avons maintenant le Grand Emprunt et ses Investissements d’avenir, ses Laboratoires d’excellence censés se constituer sur les décombres des laboratoires existants, ses sociétés d’accélération du transfert technologique, les SATT; ses 6 IHU, Instituts hospitalo-universitaires sans doute bien plus excellents que les 32 CHU à l’excellence datée; et bien sûr ses quelques Idex, 5 à 10 nouveaux établissements de prestige auxquels on promet monts et milliards, mais pas tout de suite, après quelques années probatoires ! Gageons que ces Idex, s’ils voient le jour, devront alors naviguer sur une mer jonchée de débris, les débris des établissements qui auront dépéri faute de moyens, puisque les milliards futurs – et pour la plupart non consommables – du Grand Emprunt seront compensés par des réductions budgétaires, immédiates celles-là, sans période probatoire, et déjà largement engagées dans nos laboratoires respectifs.

Tout cela a-t-il simplifié le paysage? facilité la vie des acteurs? Ce qu’on a vu prendre forme, en réalité, c’est un système de plus en plus fragmenté, complexifié, rythmé d’appels à projets sans fin, lancés vers des communautés de chercheurs, de scientifiques et d’entrepreneurs qui, continuellement en réunions, s’épuisent à tenter de suivre, de répondre, en espérant gagner à un jeu éminemment pervers quand la réalité vient tous les jours démentir les grands discours et les déclarations d’amour.

Alors que devons-nous faire? Que proposons-nous?

Permettez-moi une confidence d’abord : fort de l’expérience acquise lorsque j’étais en charge de la recherche et de l’innovation en Île-de-France, plus d’un milliard d’euros gérés en six ans, j’ai assez largement contribué à l’élaboration des propositions d’Europe Écologie – les Verts, dont certaines inspirées évidemment de mon action en Île-de-France.

Ainsi,

  • J’aimerais rappeler que la politique de recherche que j’ai développée entre 2004 et 2010 au Conseil régional d’Île-de-France et que certains d’entre vous connaissent bien fut particulièrement favorable aux sciences du vivant. Parmi les 14 Domaines d’intérêt majeur que nous avons labellisés pour cibler nos priorités d’intervention budgétaire, 7 concernaient des grandes thématiques ancrées au sein du vivant. L’une d’elles ciblait les recherches sur les cellules souches et je sais que c’est un sujet qui vous interpelle. Une fois ces priorités définies, nous avons attribué des budgets à des réseaux de chercheurs qui se devaient de couvrir toutes les forces régionales, et là cessait notre intervention. Pour le reste, c’était aux acteurs eux-mêmes de trancher sur la meilleure utilisation de l’argent public que la délibération démocratique décidait de leur attribuer.
  • Pour favoriser l’innovation dont nous estimons qu’elle réside essentiellement dans les petites et moyennes entreprises, j’ai créé et installé le Centre francilien de l’innovation, en lieu et place des anciens Critt fusionnés. J’ai fait en sorte que les aides proposées par le Centre deviennent aussi simples que possible. A vrai dire, il n’y en a plus que deux: l’aide à la maturation de projet, que la Région co-finance avec Oséo, et l’aide à l’innovation responsable pour laquelle j’ai tenu à ce que la Région soit seule aux commandes. Ce qui nous a poussés à élaborer une grille spécifique d’analyse des projets soumis. Cette grille passe tout projet au crible des trois piliers constitutifs de ce qui constitue un développement réellement soutenable : l’économique, le social, l’environnemental. Il va sans dire que les projets qui concernent l’amélioration de la santé, la préservation de l’environnement, la quête de sources innovantes et renouvelables d’énergie, son stockage, etc. ont toutes chances de passer le crible et de bénéficier des bonus de subventions que j’ai tenu à instituer pour les meilleurs projets.
  • Côté Pôles de compétitivité, nous avons vite adopté pour politique de ne financer dans les projets sélectionnés que les PME et les laboratoires publics. Il ne me paraissait pas particulièrement intelligent d’attribuer à de grands groupes industriels des sommes d’argent – au demeurant limitées par rapport à leurs propres budgets recherche – tandis que ces mêmes sommes pouvaient se révéler décisives pour les PME concernées comme pour les chercheurs des laboratoires publics qui choisissent de travailler avec ces entreprises innovantes.

Ce qui a été jugé pertinent, je le crois, en Île-de-France doit être possible aussi au niveau national. Dans la situation financière qui est aujourd’hui et sera durablement celle du pays, il s’agira d’identifier ce qui est socialement utile et écologiquement soutenable pour un usage optimal des deniers publics.

Justement, venons-en maintenant au Crédit d’impôt recherche, dont l’explosion en terme de coût fiscal pour le budget de l’État est à nos yeux une des aberrations les plus criantes du quinquennat qui s’achève.

Il faut prendre conscience que le CIR est une politique assez spécifiquement française. Par exemple, il n’existe pas chez nos voisins allemands de dispositif similaire censé inciter les entreprises à investir dans la recherche. Or, il serait vraiment hasardeux de prétendre que les entreprises allemandes ne font pas de recherche. On pourrait même avancer sans crainte de se tromper que la force du tissu industriel outre-Rhin tient en grande partie à sa capacité à prendre une longueur d’avance dans des directions stratégiques du point de vue des besoins mondiaux et des marchés émergents et porteurs. En outre, et malgré l’explosion des créances de l’État français en matière de CIR, l’investissement des entreprises françaises dans la recherche reste stagnant et faible dans les statistiques internationales. Sans compter que le CIR bénéficie en masse aux plus grandes entreprises, même si un nombre croissant de PME sollicitent et obtiennent quelques miettes de ces milliards de crédit. Alors pourquoi les entreprises françaises pêchent-elles de façon si criante dans leur investissement en R&D ?

A l’évidence, les raisons ne peuvent être que multiples. Plusieurs aspects propres à notre pays nous paraissent importants à souligner afin d’envisager de les corriger.

  1. Ici, la formation initiale dans le primaire et le secondaire ne permet pas l’appropriation des démarches expérimentales et les initiatives individuelles; les formations théoriques sont outrageusement valorisées tandis que les formations pratiques et professionnelles sont réservées à celles et ceux qui échouent en filière générale.
  2. Dans l’enseignement supérieur, notre filière la plus prestigieuse, celle qui forme les futurs décideurs – et il y en a dans cette salle – passe par des écoles où la formation par la recherche reste le parent pauvre, à quelques exceptions près; l’université, voie royale dans tous les pays de notre catégorie, est de plus en plus un pis-aller chez nous.
  3. Les patrons des grandes entreprises françaises n’ont pour la plupart qu’une connaissance lointaine de la recherche, étant eux-mêmes le plus souvent issus de la filière des ingénieurs grandes écoles.
  4. Le doctorat, diplôme qui sanctionne l’accomplissement d’un réel travail de recherche, qui indique l’acquisition d’une compétence individuelle, d’une capacité à traiter d’un problème nouveau, n’est toujours pas reconnu à sa valeur, ni dans les conventions collectives, ni dans les grilles de la fonction publique. Ce qui aboutit à une difficulté croissante à attirer les jeunes vers cette formation longue et difficile mais terriblement formatrice et parfois exaltante, celle de la formation à la recherche par la recherche.

Pour en revenir au crédit d’impôt recherche, nous ne prônons pas sa suppression radicale. Mais nous souhaitons qu’il soit plafonné, que soit limité son coût fiscal global, et surtout que soient spécifiquement ciblées les PME en terme d’éligibilité, et en conditionnant son obtention à divers critères parmi lesquels devrait figurer notamment le recrutement obligatoire de jeunes titulaires d’un doctorat.

J’en viens maintenant à votre manifeste. Parmi vos propositions de nature non fiscale, et sans descendre à un niveau de détail qui ne peut pas être mon propos ici, je veux indiquer que certaines paraissent relever du bon sens. J’en veux pour exemple celle d’allonger la durée du statut favorable dont bénéficient les entreprises labellisées jeunes et innovantes. Tout comme vous, nous plaidons pour un rapprochement des acteurs à partir du moment où les projets qu’ils portent en commun sont compatibles avec l’intérêt général. Tout ce qui clarifie, simplifie, fait gagner du temps, denrée rare et essentielle, est à encourager, à privilégier.

Mais, comme je ne suis un adepte ni de la langue de bois, ni de la démagogie, et c’est peut-être une de nos marques de fabrique, je vais néanmoins prendre quelques minutes pour discuter certaines de vos autres propositions pour lesquelles nous aurons des réticences.

Ainsi, vous proposez de donner à l’ANR une mission supplémentaire par rapport à ce que cette agence fait déjà. Rappelons qu’outre les 800 millions d’euros et quelques, destinés à son fonctionnement annuel courant et aux quelques dizaines d’appels à projets qu’elle lance chaque année vers la communauté scientifique, l’ANR – qui devait être une institution souple et légère quand elle a été imaginée – est désormais en charge de la gestion de près de 20 milliards d’euros pour les Investisssements d’avenir du Grand Emprunt. L’ANR doit-elle devenir l’agence à tout faire de la République? Nous ne le pensons pas. Au contraire, il nous semble qu’elle doit redevenir ce qu’elle était dans l’esprit des débats des États généraux de la recherche de 2004 : une façon d’attribuer des moyens immédiats pour des besoins urgents de financement de projets de recherche sur des thèmes rapidement émergents. Selon nous, cet objectif a été totalement dévoyé dans le but précis d’affaiblir les grands organismes de recherche en les dépouillant de toute capacité à développer une véritable stratégie scientifique. Mettre tous les moyens sur des seuls projets de court terme n’est pas compatible avec notre vision qui veut privilégier le long terme et le durable et qui correspond aux exigences réalistes d’une recherche en quête de ruptures scientifiques véritables.

Plus loin, dans l’axe II de votre manifeste, vous indiquez vouloir rendre obligatoires les exemptions de charges locales par les collectivités territoriales. Il se trouve que nombre de collectivités territoriales sont aujourd’hui en difficulté, certaines sont exsangues même : elles doivent assumer leurs compétences obligatoires, en matière sociale, de transport régional, de collèges et lycées, de formation professionnelle tout au long de la vie, et elles sont de plus en plus contraintes du côté de leurs recettes, l’État n’ayant eu de cesse de les dépouiller de toute autonomie fiscale. Nous, écologistes, sommes en faveur d’une étape supplémentaire et majeure de décentralisation. Nous pensons que les Régions constituent la bonne échelle pour toutes sortes de politiques qui restent aujourd’hui menées – je dirais malmenées – au niveau national. Nous sommes en faveur d’un rôle accru de l’échelon régional pour les politiques d’enseignement supérieur, de recherche, d’innovation. Jouer un rôle plus actif implique d’avoir la capacité financière et l’autonomie pour ce faire. Et cela me paraît aujourd’hui incompatible avec votre proposition d’obligation d’exonération de charges.

Je voudrais maintenant me rapprocher de ma conclusion en embrayant sur la question importante de la propriété intellectuelle. J’imagine que la quasi totalité d’entre vous considérez que le brevet est l’élément essentiel de protection de votre travail et du patrimoine de vos entreprises. Pourtant, sachez-le, cette conception n’est pas partagée dans tous les secteurs de l’innovation. Ainsi, dans le numérique, qui n’est pas le secteur le moins dynamique ni le moins créatif, une partie des acteurs les plus performants et les plus innovants considèrent qu’il vaut mieux avancer le plus vite possible pour pousser son avantage compétitif plutôt que perdre du temps, de l’énergie et beaucoup d’argent à déposer des flopées de brevets dont le caractère protecteur se révèle souvent illusoire.

Du point de vue des pouvoirs publics, qui sont bien sûr intéressés à ce que le tissu des PME se porte mieux, ce qui compte aussi, c’est l’impact du système de propriété intellectuelle, par exemple, sur le coût de l’accès aux produits de santé. Car la prolifération explosive des brevets – 220 000 attribués aux Etats-Unis en 2010 ! et bien plus encore en Chine – pose trois types de problèmes au moins :

  • il induit un ralentissement de la recherche développée par les autres acteurs ;
  • il vise à la création et / ou au maintien de situations de monopoles avec pour conséquences un renchérissement permanent des nouveaux produits mis sur le marché et un effet particulièrement délétère sur les systèmes de solidarité et de protection sociales de la nation ;
  • il renforce l’étroitesse des champs réellement explorés par les entreprises, faute de marché suffisant pour ce qui concerne les maladies rares, faute de marché solvable pour les maladies endémiques qui ont le tort d’affecter essentiellement des pays trop pauvres. Ainsi, selon des statistiques certes un peu anciennes puisqu’elles datent de 2003, mais je doute que les choses aient beaucoup changé, entre 1975 et 1999, un quart de siècle donc, 1400 nouveaux produits avaient été développés par l’industrie pharmaceutique mondiale ; seuls 13 concernaient des maladies tropicales, et 3 la tuberculose. 16 sur 1400, je vous laisse calculer le pourcentage…

Il n’entre pas ici dans notre propos de dénier au brevet son intérêt pour les jeunes, ou moins jeunes, entreprises innovantes que vous incarnez. Mais à l’évidence, il revient au monde politique de proposer des voies différentes, complémentaires, à ce système qui est loin d’être optimal du point de vue de l’intérêt général. D’autant qu’une très grande part – peut-être la plus grande – de la recherche fondamentale qui, in fine, permet la mise sur le marché de nouveaux produits de santé, reste dans tous les pays financée par de l’argent public.

Que pourraient être ces compléments? Diverses voies proposées ici ou là paraissent devoir être explorées. Je termine en me concentrant sur l’une d’entre elles, la voie de ce que j’appellerai les défis rémunérés.

Les défis, challenges en anglais, sont des compétitions lancées par des financeurs – publics ou privés, peu importe – mais dont l’action va dans le sens de l’intérêt général, et qui proposent des rétributions pour l’atteinte d’objectifs fixés et précis en terme d’innovation. A l’aulne de ce système, les entreprises ou même les individus qui apportent la solution au problème précisément posé sont rétribués par l’obtention d’une partie ou de la totalité de la dotation annoncée. On peut même pousser le mécanisme et imaginer un système similaire à celui des concours d’architecture. Ceux-là sont lancés par les maîtres d’ouvrage pour l’attribution de programmes de construction, ce sont des concours dotés d’un grand prix, l’obtention du marché lui-même, et de prix accessoires pour ceux qui ont été sollicités en première phase mais n’ont finalement pas été retenus et qui reçoivent une rétribution conséquente pour le travail effectué.

Je suis sûr que parmi vous, beaucoup considèrent cette proposition – une parmi d’autres dans une panoplie de mécanismes destinés à encourager la créativité et l’inventivité – comme tout à fait irréaliste pour ne pas dire utopique. Eh bien, au risque de surprendre, ce mécanisme non seulement n’est pas utopique, mais il est déjà largement mis en oeuvre et il fait ses preuves tous les jours, y compris pour l’identification de nouveaux biomarqueurs, et j’ai bien remarqué que cela n’était pas étranger à vos préoccupations. Pour vous en convaincre, je vous invite à consulter, par exemple, le site internet de InnoCentive. InnoCentive est une organisation américaine à but non lucratif dont l’objectif est de mettre en relation ceux qui se heurtent à des problèmes qu’ils n’arrivent pas à résoudre et d’autres qui sont susceptibles de le faire et intéressés à le faire. Cela fonctionne avec toutes sortes d’entreprises, y compris des big pharmas, qui ont compris l’intérêt de promouvoir l’innovation ouverte, le crowdsourcing, avec en toile de fond, la question de l’intérêt général, de l’amélioration de l’état du monde et des milliards d’humains qui le peuplent. En ce sens, et ce sera mon mot de la fin, il s’agit là de questions réellement, profondément, politiques.

Vous l’avez compris, je l’espère, les écologistes sont éminemment favorables à la recherche scientifique, ils sont même friants d’innovation, dans les outils qu’ils proposent comme dans les projets poursuivis. C’est en particulier le cas dans les sciences du vivant et le secteur des biotechnologies n’y échappe pas. Il est et restera, vous pouvez en être assurés, au coeur de notre attention et de nos réflexions.