Enseignement supérieur et recherche : Etat des lieux suite aux réformes
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Convention ESR EELV Lyon 1/10/11 – Note « Enseignement supérieur et recherche (ESR) : Etat des lieux suite aux réformes » – Synthèse des débats préparatoires de la commission ESR EELV, rédigée par Laurence Comparat

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En France, l’Enseignement supérieur et la recherche (ESR) subissent un vaste mouvement de restructuration. Les réformes, qu’elles soient législatives et/ou sur les modes de financement, s’enchaînent à un rythme effréné :

  • 2002 : réforme LMD (pour Licence – Master – Doctorat) qui remet à plat l’organisation des cycles universitaires dans le cadre d’une harmonisation européenne. Si cette réforme n’a pas eu les effets dévastateurs des suivantes, elle a enclenché la concurrence entre établissements, et inauguré la mauvaise habitude de missions nouvelles sans moyens supplémentaires
  • 2005 : 1er appel à projets « pôles de compétitivité », qui vise à financer sur appels d’offre des projets industriels innovants, en lien soit-disant naturel avec l’ESR, et en poussant à des regroupements en grands pôles
  • 2006 : Loi recherche dite « Pacte pour la recherche » (Loi n°2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche), qui met en place les PRES, EPCS, FCS, Instituts Carnot, RTRA et autres RTRS1, et l’AERES2
  • 2007 : Création de l’Agence nationale de la recherche – ANR, et de sa politique de financement sur projets. Un lien direct entre la mise en place massive de ce mode de financement et la précarité dans l’ESR est observable3
  • 2007 : Loi sur l’autonomie des universités – LRU (Loi n°2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités), qui notamment délègue directement aux universités la gestion de la masse salariale des employés titulaires
  • févr 2008 : le démantèlement des organismes de recherche démarre
  • févr 2008 : Opération campus, appel à projet pour la mise en place de pôles universitaires par association d’établissements, opération immobilière sans moyens en fonctionnement
  • févr 2009 : Plan de relance (financements dédiés et assouplissement des règles de la commande publique), dont l’ESR est « bénéficiaire » pour des opérations d’infrastructures comme le podcast ou le wi-fi, qui ne correspondent ni à des priorités ni à des demandes du terrain
  • 2009 : réforme du statut des enseignants-chercheurs, avec la mise en place de la modulation des services, et l’enseignement conçu comme punition pour les mauvais chercheurs
  • 2009 : réforme de la formation des enseignants, dite « mastérisation », avec la quasi disparition de l’apprentissage sur le terrain durant la formation
  • 2009 : mise en place du « contrat doctoral », auquel un mouvement de mobilisation reproche de favoriser la concurrence entre doctorants, les risques de recrutements « à la tête du client » par les Présidents et donc le retour en force du mandarinat, et le risque de pilotage de la recherche par les entreprises (possibilités de cumuler la thèse avec un travail pour un partenaire)
  • mai 2010 : 2e appel à projets « pôles de compétitivité »
  • juin 2010 : Grand emprunt (« Investissements d’avenir »), pour financer des projets de recherche (Labex), des équipements de recherche (Equipex), et mettre en place des regroupements d’établissements censément de taille mondiale pour piloter et financer sur projets des politiques « d’excellence » en formation et recherche (Idex)
  • 2011 : nouvel arrêté sur la licence (bac+ 3), réformant en profondeur le diplôme, avec une « collegialisation » de la licence, et une coupure accentuée d’avec la recherche

Le cadre dans lequel s’inscrit cette restructuration est celui de la « Stratégie de Lisbonne », dont l’objectif fixé par le Conseil européen de Lisbonne est de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».4 Il s’agit donc d’une logique libérale de privatisation de l’ESR.

Ces réformes ont été conduites sans concertation avec la communauté ESR, qui les subit.

Les conséquences des réformes

La première conséquence sur le terrain est que les universités et organismes de recherche sont toujours en retard d’une réforme, et passent leur temps à réagir en catastrophe aux injonctions ministérielles, dans une urgence sciemment organisée pour empêcher tout débat de fond et toute prise de recul : la course à l’échalote permanente devient un mode d’organisation, particulièrement destructeur pour les conditions de travail.

Pour l’université, la formation

  • université à 2 vitesses : « collegialisation » de la licence, Pôles universitaires de proximité – PUP centrés sur le premier cycle, périmètres d’excellence réservés à une élite
  • coupure du 1e cycle d’avec la recherche
  • non renouvellement d’un départ à la retraite sur 2 délégué aux établissements (sous-financement organisé dans le cadre du passage à l’autonomie : 99,9% de la masse salariale consommée pour 85% de postes pourvus)

Pour la recherche

  • pilotage de la recherche par l’aval au profit des entreprises, et donc privatisation des axes et des résultats de la recherche (brevets)
  • risques au public, profits au privé
  • l’innovation technologique et industrielle est fixée comme objectif unique de la recherche
  • financement de la recherche sur projets au détriment du financement récurrent

Pour l’ESR en général

  • nouvelles missions sans moyens nouveaux
  • menaces sur des pans disciplinaires entiers : Sciences humaines et sociales, mais aussi tout ce qui n’est pas monnayable donc toute la recherche fondamentale
  • logique de court terme
  • précarisation, dégradation des conditions d’emploi et de travail, recentrage sur les « cœurs de métier » et suppression de la gestion directe de certaines activités (ménage, informatique, paie, cabinets d’audit et de conseil…)
  • concurrence entre établissements
  • métropolisation, « big is beautiful » : impacts sur l’accès à l’enseignement supérieur, l’aménagement du territoire
  • recul démocratique par empilage de structures (établissements, PRES/EPCS, FCS…)
  • les liens université / recherche / société ne sont envisagés que sous l’angle économique (employabilité, lien avec le monde de l’entreprise, insertion professionnelle)
  • bureaucratisation galopante : indicateurs, pilotage, évaluation
  • logique d’évaluation quantitative et non pas qualitative (bibliométrie, nombre de brevets, de prix Nobel, classement internationaux…)

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1PRES : pôles de recherche et d’enseignement supérieur ; EPCS : Etablissements de coopération scientifique ; FCS : Fondations de coopération scientifique ; RTRA : réseaux thématiques de recherche avancée ; RTRS : réseaux thématiques de recherche et de soins

2AERES : Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur

3Voir notamment l’étude sur la précarité dans l’ESR conduite à l’initiative de l’intersyndicale nationale : http://www.precarite-esr.org/spip.php?article3

4Relever le défi – La stratégie de Lisbonne pour la croissance et l’emploi’, dit Rapport Kok, novembre 2004, pages 6 à 8, 12, 51 – Cité par Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Strategie_de_Lisbonne

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